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& Seth & Ra

8 mai 2012

La Barque

Une fois n’est pas coutume, une chansonnette spontannée



Au bord du fleuve, je coupe du bois.

Et passent, et passent les barques.

Au bord du fleuve, j’entasse le bois.

Et passent, et passent les barques.

Au bord du fleuve, je manie la vrille.

Et passent, et passent les barques.

Au bord du fleuve, j’assemble la quille.

Et passent, et passent les barques.

Au bord du fleuve, je construis ma barque.

Et passent, et passent les barques.

Au bord du fleuve, tarit, sans barque

Trépasse, trépasse la barque.

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1 mai 2012

Pénurie

Le bruit de pas, pressés, se répercute le long des couloirs. Un homme mince, tout en longueur, passe, à toute allure, devant des portes numérotées. La sueur perle sur son teint clair. Ses lunettes tressautent alors que sa chevelure blonde montre toute sa raideur naturelle. Il tient un carton sous son bras droit. Il fronce les sourcils.

Les mots du principal l’ont accueilli au premier pied posé dans le bureau :

— Professeur Gueld, c’est intolérable ! Depuis que vous travaillez ici vous devriez savoir quels sont les objectifs de cette école. Comment peut-on enseigner correctement l’ordre et la discipline lorsque nos professeurs ne sont même pas capables de respectez les horaires de cours ? Ne soyez pas étonné du blâme sur votre prochaine évaluation. J’espérais plus d’un ancien ingénieur tel que vous. Maintenant, dehors ! Vos élèves vous attendent.

Arold replace le carton sous son bras et grimace au souvenir de l’air satisfait de son supérieur. Il manque de déraper dans le dernier coude et ralentit l’allure en reprenant son souffle. Lorsque le professeur entre dans la salle de cours, il la découvre bien calme. Derrière le verre renforcé, le pulsar occupe une bonne partie du ciel, plongeant la salle dans une lumière violacée. Agacé, il dépose le carton sur le bureau et, d’un doigt, règle l’intensité du filtre. Il salue ses élèves.

— Bonjour monsieur Gueld !

Leur engouement rappelle à sa mémoire le sujet du jour : La conquête spatiale. Évidemment, cinq ans qu’il enseigne l’histoire dans la station et c’est tout les ans la même chose.

— Veuillez rangez vos pagecoms. Vous pouvez également éteindre les écrans.

De la surprise et une légère inquiétude se lit sur les visages. Le professeur ne peut s’empêcher de sourire. Après tout, ces mômes sont nés avec un écran devant les yeux. Il pousse le carton sur le devant du bureau.

— Fanny, s’il vous plaît, distribuez à chacun une feuille, Adam se chargera des stylos.

Certains élèvent prennent le temps de vérifier sur leur écran ce que sont le papier et le crayon. Un bruit de fond remplit la salle pendant la distribution. Il ne pense pas les interroger avec ces antiquités quand même ?

— Ne faites pas cette tête. Il ne s’agit pas d’une interrogation… Mais de travaux pratiques.

Sa moustache dorée se plisse au dessus d’un sourire tandis qu’il laisse la stupeur redescendre. 

Gueld entame son cours, visiblement amusé par les regards interrogateurs de ses élèves :

— La conquête spatiale a longtemps habité l’esprit de nos ancêtres. En revanche, ce qui l’a rendu possible n’a rien à voir avec une simple théorie. Il s’agit d’une découverte scientifique. De la mise en pratique de théories scientifiques pour être exact. Et nous allons reproduire cela à l’aide des « antiquité » que sont le papier et le crayon.

Il effleure le bureau. Derrière lui, un rectangle de papier est projeté.

— Prenez votre feuille.

Un second effleurement provoque l’apparition de deux points noirs sur la feuille.

— Et reproduisez ceci. Bravo, vous venez de reproduire l’espace. Du moins une partie de l’espace dans laquelle il est possible de représenter le chemin le plus court pour aller de l’étoile A à l’étoile B.

Ses mots provoquent l’affichage de noms et le tracé d’une ligne dans son dos.

— Il est peu probable que vous puissiez suivre ce trajet. Pourquoi ? Car l’espace est loin d’être vide, d’autres étoiles, des amas de matière obscure voir des trous noirs encombrent la voie. Vous seriez obligés de suivre une route quelconque parmi celles-ci.

Quelques lignes multicolores s’emmêlent sur le mur.

— Même en supposant que l’espace est libre, on ne peut dépasser la vitesse de la lumière. A titre d’exemple, il vous faudrait environ deux siècles pour atteindre la station la plus proche avec notre vaisseau le plus rapide. Comment vous et moi pouvons-nous être ici dans ce cas ? Grâce aux trous de ver. Vous en avez sans doute déjà entendu parler, aux informations ou sur vos pagecoms. Épargnons-nous les détails scientifiques. Percez vos feuilles avec le crayon en passant par les deux points. Félicitations, vous venez de créer un trou de ver, un chemin qui va de l’étoile A à l’étoile B sans passer par l’espace normal.

Derrière Gueld, la feuille passe en trois dimensions et un tube rouge serpente entre A et B.

— L’avantage de ce passage est d’être absolument vide. Son gros défaut, vous n’en connaîtrez jamais la longueur. Vos trous de ver sont dit positifs. Ils réduisent la distance entre deux points de l’univers. Mais il est beaucoup plus probable en réalité d’en obtenir un négatif, comme celui-ci. Il y a deux siècles, les scientifiques étaient déjà capables de créer ces trous. Rapprochez maintenant les deux perforations le long du crayon.

Mêlant le geste à la parole, la feuille derrière lui se plie tandis que le tube devient un cylindre. Il change de couleur, passant par l’orange et le jaune, alors que sa taille diminue. Au finale, un étroit passage vert relie les deux étoiles symboliques.

— Vous venez de créer une porte spatiale, qui n’est rien d’autre que la compression d’une route en dehors de l’espace normal. La technologie permettant de compresser les trous de ver est la plus grande découverte de la fin du XXIIème siècle. Sans elle, aucune conquête spatiale possible. Sans elle, pas de stations pulsar pour fournir toute l’humanité en énergie. Et par la même occasion, une fin sans doute tragique à la crise énergétique que traversa l’humanité à cette époque.

 

 

 

— Monsieur le président, excusez moi de vous déranger. Je vous apporte le rapport que vous avez demandé. La crise s’intensifie. Notre parc d’éoliennes offshore a atteint sa taille maximale, si nous l’étendons plus, le trafic maritime sera perturbé. Les pièges à vent aériens fonctionnent à plein régime. Le mauvais ensoleillement de l’année a un effet désastreux sur la productivité des centrales solaires africaines.

Le visage du président devient ombrageux tandis que le secrétaire poursuit, peiné :

— La station habitée Érebus est en train d’être évacuée. Le directeur a été mis aux arrêts pour mise en danger du plus grand nombre. Il a forcé les ingénieurs à pousser l’un des générateurs au-delà de sa charge maximale et ce dernier a explosé.

— Un souci Edouard ?

— Mon cousin était technicien dans cette station monsieur… Merci de vous inquiétez. Permettez moi de poursuivre.

L’homme se rapproche du bureau et y dépose une barrette mémorielle tout en continuant :

— Les colonies lunaires demandent plus de fonds pour faire installer de nouveaux générateurs. Les corporations refusent de baisser leurs prix et n’ont pas l’intention de construire de centrales afin de vendre de l’énergie. Voilà monsieur, tous les détails sont dans le rapport.

— Merci Edouard, toutes mes condoléances pour votre cousin.

— Merci monsieur.

Le secrétaire sortit, Jérôme Ostwald, 20ème Président du Gouvernement Terrien, prend la barrette l’insère dans une fente. La tête entre les mains, il examine le document, daté du mois de mai 2181 : « Comment allons-nous nous sortir de cette situation ? »

Ailleurs, la salle du conseil se remplit peu à peu. Certains directeurs sont venus en personne, d’autres ont envoyé des assistants et ne sont présent qu’en communication holographique. La table de verre noir s’illumine peu à peu d’écrans, de graphiques, de rapports et d’images qui la parcourent en tout sens au gré des conversations. Les mouvements cessent et le silence se fait lorsque Sho Amaranti entre dans la salle. Une hôtesse lui présente le grand siège solitaire qui fait face au demi-cercle de ses subordonnés. Le Président Directeur Général de la Corporation d’Orient n’a que 26 ans. Et pourtant personne à cette table ne remet en doute sa légitimité. Il a prouvé sa valeur en faisant progresser le chiffre d’affaire de la corporation de 3% tout en contrant trois tentatives de prise de pouvoir lors de son premier mois de fonction.

Cependant la surprise se lit sur les visages lorsque les hôtesses ajoutent deux chaises à ses côtés. Quelques écrans se ferment et un silence gêné grandit lorsqu’apparaissent deux hologrammes. Le mince jeune homme se lève pour accueillir ses invités d’une flexion du buste. Ses longs cheveux noirs encadrent le visage juvénile, presque androgyne, qu’il tourne vers ses subalternes. Ses yeux d’acier liquide balaient la salle alors qu’il prend la parole :

— Bonjour à tous. Nul besoin de vous présenter monsieur le Porte Parole des Émirats Unis ainsi que madame la Présidente Directrice Générale de l’American Central Corporation. Ils sont ici aujourd’hui en tant que citoyens terriens. Quelques exclamations de surprise parcourent les directeurs. Il me semble que vous êtes tous au courant de la crise à laquelle doit faire face notre gouvernement. Nos informations réciproques montrent que seule la bonne volonté des corporations parviendra à faire sortir la Terre, les stations habitées et les colonies lunaires de celle-ci.

En quelques mouvements de doigts, Sho transmet un document à l’ensemble des personnes présentes.

— Voici le projet Ouroboros et ses trois phases. La plus compliquée sera la seconde. Nous devrons convaincre le Président de centraliser l’ensemble des ressources énergétiques pour une durée d’une heure. Vous avez un mois, mesdames, messieurs, pour étudier ce document et me faire un rapport de ses conséquences sur notre corporation.

Marquant une pause, le président parcours du regard ses directeurs, jette un regard à ses voisins, et poursuit :

— Nos invités feront de même au sein de leurs organisations respectives. Le partage des moyens techniques et financiers est dans le document. Cette réunion est terminée. Je vous souhaite une bonne journée.

Il se lève, suivi par les directeurs, salue l’assemblée ainsi que ses deux invités. Il se retire ensuite, les laissant à leur stupeur. Les dirigeants se sont retirés. Les discussions explosent autour de la table tandis que chacun parcourt le projet Ouroboros.

 

 

 

Après douze années de recherche et un an de construction en orbite, la porte spatiale Alpha est prête à fonctionner. Dans tous les lieux habités, la première phase du projet est retransmise en direct. La quasi-totalité de l’humanité observe d’un œil curieux l’étrange anneau entouré de sept réacteurs à fusion. « Quelle perte d’énergie et d’argent ! » pense le plus grand nombre. Les corporations se moquent des humains, seul l’argent compte à leurs yeux.

Dans le bureau présidentiel, ils sont quatre à suivre l’évènement. Ostwald, accoudé, observe ses invités avec une certaine agitation. Que peuvent bien lui vouloir les trois personnes les plus riches et les plus puissantes au monde. Sho Amaranti, Président de la Corporation d’Orient, les cheveux noués derrière la tête, fragile, en apparence seulement. Ses yeux détrompent vite Jérôme. Deux gouttes d’acier liquide qui irradient d’une intelligence froide et calculatrice. Un frisson parcourt l’échine du président tandis que la présentatrice déblatère des détails sans intérêt.

Mylesi Rodfield pose sur lui un regard émeraude, doux et carnassier. Qu’une superbe femme soit à la tête de la plus grosse corporation américaine ne l’étonne guère. Sa peau naturellement cuivrée disparaît à mi-cuisse dans une robe fourreau de satin rouge et noire. Une beauté fatale dont les journaux apprécient la crinière auburn et le visage volontaire, un rien carré.

— Monsieur le président, nous sommes prêts à lancer l’initialisation de la porte. Votre observateur dans le transport Omega est-il à son aise ?

 Sortant de sa rêverie, Ostwald pianote sur son bureau. Un visage apparait flottant à quelques centimètres de la table.

— Bonjour monsieur le président. Y a-t-il un problème ?

— Bonjour John, je souhaitais simplement savoir si vous étiez prêt à partir.

L’homme confirme et fait part d’une légère anxiété, bien naturelle selon lui.

—Rassurez vous John. Je ne pense pas que nos amis envisagent l’échec comme possible.

Le léger sourire que lui envoie Amaranti lui donne froid dans le dos autant qu’il le rassure.

— Bon voyage conseiller.

—Merci monsieur.

Sho, les mains dans le dos, regarde à l’extérieur tout en s’adressant au président :

— Le trou de ver a été établi avec succès. La phase de compression est en cours. Dans quelques minutes, nous lancerons l’Omega. Comme vous le savez, ce système est une invention commune de nos trois corporations. Ce dont vous êtes témoin aujourd’hui est le début d’une nouvelle ère.

A l’écran, la présentatrice continue ses explications :

— Ramener le temps de voyage entre les orbites terrestre et lunaire de quelques jours à quelques heures sans accélération promet un gain de temps et d’énergie énorme pour les échanges Terre-Lune. Le projet ne s’arrêterait pas là selon les affirmations des trois corporations à son origine. Cependant aucune information n’a été révélée au public à ce jour.

Dans le bureau, c’est au tour de l’Émir A’Reht de prendre la parole. Le vieil homme en costume traditionnel, assis sur le canapé, en impose par sa stature. Seuls ses mains et son visage basanés sont visibles. Un longue barbe argentée et des yeux de jais complètent le personnage sorti d’une autre époque. Son ton didactique irrite légèrement Oswald.

— Vous voyez monsieur le président, Alpha a fabriqué un trou de ver entre sa position et un point aux environs de la Lune. Seulement sans point d’ancrage, l’autre extrémité n’est pas stable. Sa position varie d’environ une journée lumière dans n’importe quelle direction.

L’émir ponctue ses paroles d’un geste désinvolte :

— Le transport Omega mettra peut être une semaine à rejoindre l’orbite lunaire. Il transporte à son bord les observateurs ainsi que le matériel nécessaire à l’établissement de ce que l’on pourrait appeler une ancre. Une fois le passage fixé, les échanges entre la Terre et la Lune seront sécurisés.

L’air satisfait du corporatiste et le hochement de tête de sa consœur arrachent au président un rictus.

— Par la suite, n’importe quel vaisseau pourra se rentre d’une orbite à l’autre en quelques heures. Alpha consommant beaucoup d’énergie, elle ne sera activée que lorsque cela sera nécessaire, pour le moment. Son temps de mise en marche est d’environ une demi-heure, le temps nécessaire à un vaisseau pour quitter l’attraction terrestre par exemple.

Le magnat se redresse, provoquant une tension dorsale chez Ostwald :

— Venons-en aux choses sérieuses. Vous êtes le premier au courant de la situation énergétique que nous traversons. Cela inquiète tout autant les corporations que vous. Après tout sans énergie, pas de fabrication, donc pas de ventes.

Le regard de l’homme d’état se durcit. En lui-même, il sourit avec amertume : « On en arrive enfin aux exigences. Rien n’est gratuit avec les corporations. » Avec un sourire, Rodfield délasse ses longues jambes pour descendre du bureau. Dans le regard du vieil homme, une lueur d’envie passe. Elle s’approche de lui d’un pas souple.

— Allez-y doucement mon cher émir. Vous allez effrayer ce pauvre président.

Le porte-parole reprend vite contenance pour poursuivre :

— Oui, excusez moi, nous ne voudrions pas compromettre l’ensemble du projet Ouroboros.

— Ouroboros ?

Le président se redresse. D’un regard suspicieux, il regarde chacun des trois corporatistes.

— Qu’avez-vous prévu exactement?

Sans se retourner, Amaranti reprend la parole :

— Rien de dangereux monsieur le président, soyez rassuré. Nous avons les moyens de mettre fin à la crise énergétique, définitivement. Mais pour cela il nous faut votre soutien.

Le jeune homme se lance dans l’explication du projet. Ceci fait, les trois invités prennent congé. La retransmission est terminée. Dans quelques jours, le voyage vers la Lune deviendra une routine. Jérôme tourne son fauteuil vers la grande baie vitrée et la terrasse paysagère qui s’étend derrière. Le soleil se couche derrière une cascade, donnant à l’environnement une couleur ambrée.

Il joint les mains et pose son menton dessus. Préoccupé, il réfléchit : « Cela pourrait marcher. Mais comment va-t-il convaincre les parlementaires, et la population ? »

 

 

 

Des mois de négociation et deux ans de construction plus tard, la phase deux peut être lancée. Dans une heure, l’ensemble de l’énergie énergétique humaine sera redirigée vers Alpha à l’aide de relais électromagnétiques. Seuls les écrans géants installés dans les grandes villes seront fournis en électricité pendant l’heure que doit durer l’opération. Envoyer cinquante vaisseaux de transports pleins de personnel et de matériel à quelques centaines d’années lumière n’est pas une mince affaire.

Ils sont à nouveau quatre dans le bureau présidentiel. Ostwald se sent toujours aussi mal à l’aise face au calme de ces invités hors normes. Assise sans aucune gêne sur le bureau la présidente de la corporation américaine lui lance un regard bienveillant et s’inquiète de lui :

— La construction d’Ouroboros et de sa porte prendra un mois monsieur le président. Vous pensez pouvoir tenir le coup ?

— Il faudra bien.  Après tout ce sont vos sièges et le mien qui se jouent maintenant.

Un frémissement à la commissure des lèvres d’Amaranti lui fait regretter ses paroles. Le jeune homme plonge son regard dans le sien avant de l’interrompre :

— Je suis désolé de devoir vous contredire monsieur le président. Ce projet représente pour chacune de nos compagnies moins de 1% de nos investissements annuels. Nous ne risquons rien. Mais nous pouvons gagner beaucoup.

Le président réprime un rictus de dégoût. Il se sent comme une marionnette entre leurs mains. Pourtant si leur fameux projet fonctionne, c’est tous les citoyens qui en profiteront. Sho continue :

— Et la crise énergétique prendra fin dans deux mois.

L’assurance du principal acteur est effrayante. Ostwald l’écoute d’une oreille, recroquevillé dans son fauteuil.

— Dés le retour des vaisseaux de transports, nous lancerons l’assemblage de la seconde porte et de la station de diffusion. Les relais sont déjà en position. Messieurs, madame, dans deux mois les problèmes énergétiques deviendront pour l’homme un souvenir. L’énergie d’un pulsar fournira à l’humanité la lumière qui lui est due.

 

 

 

La sonnerie de fin de cours retentit dans les couloirs. Les bruits de portes et de nombreux pieds se font entendre.

— Restez assis.

Le silence de ses élèves laisse le professeur Gueld sans voix pendant une seconde. Aucun n’a bougé. D’un geste, il change l’image diffusée sur le mur.

— Pas besoin de vous expliquer ce qu’est ceci. Il vous suffit de tourner la tête pour le voir. Il s’agit du premier pulsar exploité par l’homme, Ouroboros. Je veux être sûr que tout le monde comprend de quoi il retourne avant de poursuivre. Les pulsars sont d’anciennes étoiles qui se transforment. Ils émettent durant des millions d’années de très fortes quantités d’ondes électromagnétiques.

« Tous les élèves ne suivent pas le cours de physique. » pense-t-il avant de préciser :

— Cela fait d’eux une source d’énergie enviable pour l’homme. Le temps que la puissance d’un pulsar diminue, nous avons largement le temps de mettre en place une nouvelle station ailleurs pour le remplacer. Ceci dit il existe un problème auquel nous avons dû faire face. L’émission n’est pas stable, elle se déplace constamment. Ce mouvement est déterminé et une fois la station en place, le problème disparait grâce aux trous de ver. Reprenons où nous en étions, la création de la première station d’exploitation, celle ou nous nous trouvons, Ouroboros.

 

 

 

Dans la salle de contrôle, les techniciens s’affèrent. L’ingénieur en chef Dotrez élève la voix :

— Ici la station de construction, le courbeur de champ électromagnétique est prêt. Phase de mise en marche de la cinquième station pulsar, nom de code Quetzacoatl, prévue pour le 14 août 2239 à 12h00. Mettez en route le compte à rebours. La partie la plus délicate va commencer.

Ronald Dotrez surveille les diagrammes avec une attention accrue. Le pulsar est stable. La station s’est mise en mouvement vers le cône d’émission. Dans une heure, les premiers rayonnements viendront s’engouffrer dans l’énorme champ de confinement. Vingt générateurs fourniront l’énergie nécessaire à ce contact. Puis le transformateur utilisera le flux cosmique pour fournir toute l’énergie et diffusera l’excédant dans l’espace de manière inoffensive.

S’autorisant un instant d’égarement, il se remémore : « Que de changements en moins d’un siècle. Si le projet Ouroboros avait échoué, la Terre aurait sans doute connu ses premières guerres pour le contrôle de l’énergie. A moins que les corporations n’aient décidé de prendre le contrôle. »Dotrez balaie ses pensées et se concentre de nouveau sur ces écrans.

— Monsieur, communication en provenance de la Corporation d’Orient.

Les bureaucrates et leurs ronds de jambes l’insupportent mais il n’a pas le choix.

— Encore eux… Bon, Passez moi la communication sur l’écran central, merci.

Il répartit rapidement ses graphiques sur les deux écrans latéraux avant que l’écran ne s’éteigne. A la place flotte à présent la tête du dirigeant de l’American Central Corporation. L’hérédité est surprenante. Herbert Rodfield darde sur l’ingénieur un regard d’un vert intense. Son menton carré dégage force, autorité et charme. Une masse de cheveux auburn, indomptée, dépasse les limites de l’hologramme.

— Bien le bonjour monsieur Dotrez, comment se déroule la phase finale ?

— Bonjour monsieur Rodfield. Pas de problème à signaler. La première transmission d’énergie devrait avoir lieu d’ici ce soir.

L’ingénieur s’efforce de sourire, partagé entre le déplaisir d’être interrompu dans son travail et la crainte que lui inspire ce regard aussi bienveillant que prédateur.

— Parfait, votre ponctualité vous honore. Les colonies minières de Kuiper attendent avec impatience de pouvoir faire entrer les premiers colons. Trente milliards d’humains observent vos efforts avec bienveillance, moi le premier. Je vous laisse à vos préparatifs. Au revoir monsieur Dotrez.

Il rend son salut au président. Son écran reprend sa place. Que de mondanités, comme si l’ensemble de l’humanité s’inquiétait de ce que lui fait.

 

 

 

Devant la projection, Gueld conclue sont cours :

— Et voilà comment, en l’espace d’un siècle, l’humanité est parvenue à réaliser deux avancées majeures. Le voyage par compression des trous de ver permet aujourd’hui de voyager entre n’importe quel point de l’univers. Mais surtout, ceci n’est réalisable que parce que nous utilisons l’énergie des pulsars. Ces étoiles sont des générateurs naturels bien plus puissants que tout ce que l’homme a pu construire auparavant. Aujourd’hui, à la veille du XXIVème siècle, l’humanité se lance dans l’exploration spatiale en dehors du système solaire. Les réserves naturelles du système commençant à décliner, l’humanité cherche de nouvelles ressources, voir une nouvelle terre.

La sonnerie retentit de nouveau.

— Veuillez me rendre les stylos en sortant et jetez les feuilles à la poubelle, merci et bonne journée.

Dans l’effervescence des élèves, un regard chagrin se dessine sur le visage d’Arold Gueld. Il n’était pas professeur alors.

 

 

 

L’alarme se met à retentir dans toute la section technique de la station Ouroboros :

 Message prioritaire à toutes les stations pulsar. En date du 15 octobre 2295, la Terre demande d’urgence un apport massif d’énergie. Redirigez l’ensemble des portes vers les accès terriens. Emission totale pendant cinq minutes à compter de 20h heure universelle.

L’ingénieur Gueld rejoint son poste d’un pas pressé. Il jette un œil sur les graphiques puis tourne la tête :

— C’est quoi le problème?

Son voisin lui jette un regard inquiet.

— Une alerte majeure sur Terre. A croire que les générateurs terrestres ont décidés de se détraquer les uns après les autres…

— Merde, ça a l’air costaud. Une idée de l’origine du problème ?

— Aucune. Les dirigeants ont ordonnés d’agir selon le traité sur l’énergie. Productivité et image publique avant tout, tu vois le genre.

Derrière eux, l’ingénieur en chef ordonne :

— Emission dans sept minutes, déclenchez le compte à rebours.

Une grande baie vitrée donne sur la plaine lunaire, déserte. Au dessus de l’horizon, la Terre. Assise sur une méridienne safran, une jeune femme admire le paysage encadré de lourdes draperies de soie. Sa peau comme du bronze contraste avec des vêtements inspirés de l’Egypte ancienne. Ses yeux de jais rappellent sont appartenance à la lignée des A’Reht. Derrière elle, une porte s’ouvre silencieusement pour laisser passer une secrétaire.

— Madame ?

— Je croyais avoir dit ne pas vouloir être dérangée pendant l’heure à venir.

— C’est le téléphone madame. Il n’arrête pas de sonner.

— Ne répondez pas.

— Bien madame… Madame ?

— Qu’y a-t-il encore ?

— La Terre… est réellement en crise, n’est-ce pas ?

— Plus pour longtemps, cessez de vous émouvoir inutilement. Les ordres ont été transmis selon le planning que je vous ai fourni. Maintenant laissez moi.

A peine la porte refermée, deux hologrammes paraissent aux côtés de la porte-parole des Emirats Unis. Le descendant des Rodfield leur adresse un sourire inquiet :

— Tout se déroulera selon leur plan n’est-ce pas ?

Ignorant les craintes du frêle homme roux, Tasha A’Reht se tourne vers le troisième personnage :

— Mon cher Amaranti, votre ancêtre avait vraiment tout prévu, jusqu’à l’éducation de sa lignée dans ce but.

Le visage du dirigeant de la Corporation d’Orient, véritable sosie de son aïeul, laisse paraître un sourire aussi glacial que ces yeux d’acier. Il s’abstient de répondre, mais, intérieurement : « Oui, Sho Amaranti avait tout calculé. »

Au centre de contrôle de la station, un ingénieur panique :

— Arold, ces messages se contredisent ! La Terre veut qu’on arrête tout. Et la corporation affirme que les instruments sont détraqués. Elle demande carrément le passage en code maître !

Gueld se retourne, inquiet, vers l’ingénieur en chef :

— Monsieur, que fait-on ?

L’homme le regarde, parfaitement calme, avant de répondre :

— Il me semble que c’est la corporation qui paie vos salaires messieurs. Faites confiance à vos dirigeants. Saisissez le code maître. Trois minutes avant émission.

 

 

 

Cinquante milliards d’êtres humains voient les écrans s’éteindre. En lieu et place de leurs programmes, de leurs travaux, un message apparaît :

Le projet Ouroboros sera complété dans 1:00.

Le compte à rebours s’enclenche. Arrivé à zéro, dix pulsars transmettent leur énergie aux environs de la Terre. Trois cent relais orbitaux reçoivent une portion de cette énergie monumentale. La planète bleue augmente sa température de quelques centaines de degrés pendant cinq minutes. Les océans sont vaporisés. La croûte terrestre est vitrifiée ou liquéfiée selon les endroits. Amaranti regarde la planète morte :

— Nous venons de perdre un dixième de nos consommateurs. Mettez en place la gouvernance corporatiste.

10 avril 2012

Shortcut

Don't wag your tail.

Just go to rage.

There are nothing you tell

That would be average.

2 avril 2012

Accords perdus

De tes mains apposées, délivre moi des mots.                 En nage, je rage, je souffre de maux.

Ecarte mes chaires passées                                          Par moi créés, par moi harassé

En moi, la vie infuse de ton corps.                                   Je me raidis, pas de mort.

Sous tes doigts je frémis                                                Sous ton poids je gémis

L’un dessus, l’autre sans sous.                                       Aveugle devant la Roue.

Physique est la distance.                                               Elle augmente le silence.

Je me dénigre seul et par toi                                           Je vis pour moi

Espoir déclinant.                                                            Et néanmoins présent.

27 mars 2012

Encyclopédie Fabulée

Et si, tout près de nous, il existait des éléments méconnus, étranges, magiques. Si notre monde rationnel était capable de cohabiter avec le fantastique.

L’Encyclopédie Fabulée ou comment dresser un autre portrait de ce qui nous entoure. Un portrait imaginaire et rêveur. Lettre après lettre, encore et encore, tournez les pages et découvrez :

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16 mars 2012

Haime

Je n’en démords, ami.

Mon être est le soleil de vos nuits,

Mon âme le tourment de vos jours.

Retournez-vous

Qu’au revers j’essuie

La lame ardente qu’au cœur j’eus

Nul reproche en ces perles de sang qui parcourent

Mes atours et vous.

Comprenez combien seul je suis.

Quand sans le plus petit phonème

Je vous haime.

11 mars 2012

Cadavre exquis

Proliférez mouches et moucherons
Et écartez ma peau.
Du sang de mes artères, coléoptères
Désaltérez-vous.
Que de mes entrailles, vautours
Vous fassiez ripaille.
Sous vos crocs, loups
Brisez mes os.
Vers de terre, de mon corps
Effacez toute trace.
Pour que la vie, jamais plus
Je n’entrave.

7 mars 2012

Attente

Je vous demande pardon pour l'attente de cette semaine. Beaucoup de choses en cours et une nouvelle en cours de rédaction. Je vous la fait voir aussi vite que possible. Bonne fin de semaine à tous.

29 février 2012

Vengeance

Et ma lame, aux heures de minuit tintantes,
S’enfonce dans votre cœur pourrissant.
Qu’au clair de lune, ma voix porte
Ce message, à vous, qui la lumière oubliez
Et je pleure sans fin vos infamies suintantes.
De mes tripes s’échappe du fiel vomissant,
Au seuil même de sa sombre porte.
Au pied de votre cadavre, ma mie, pliez
Je suis de vos souffrances visibles, impies.
Hurlez lycans, riez vampires, je pleure.
De mes mains vous subirez l’argent et le pieu,
Qu’enfin je dorme d’un sommeil infini.
Ma vengeance accomplie, ma mie, je meurs.
Dans ma détresse, je vous maudis, adieu.

26 février 2012

Dernier soleil

Les informations du matin en fond, je bois rapidement mon café. Je suis déjà en retard. « Flash info. L’observatoire du Pérou confirme l’information. Environ 5% des corps lumineux ont disparus de notre ciel. Ces disparitions ne semblent suivre aucune logique spatiale, temporelle ou du type de corps concerné. » Les étoiles disparaissent ? Et alors ? Si je ne suis pas au travail dans le quart d’heure qui vient, je vais me faire virer. Au bureau tout le monde ne parle que de cela. Des étoiles qui disparaissent, c’est normal, elles ont explosé en supernova ou bien se sont faites aspirer par un trou noir. Pas de quoi s’inquiéter tu vois ? Je me concentre sur mon travail. J’ai autre chose à faire que de lever la tête, je suis en retard. Et ce programme qui refuse de fonctionner. Maudits développeurs, maudites machines, j’ai du boulot par-dessus la tête moi.

Tu as vu les infos ? Ils disent que 25% des astres ont disparus. Et pas un seul indice sur ce qui peut provoquer cela ? Non, aucun schéma logique, les observations sont confirmées par les satellites. Ils ont vérifié tous les appareils. De toute façon, on est en ville, pour ce que l’on voit du ciel nocturne. Qu’est-ce qu’ils ont a rire ? Ah, encore ces informations, hier c’était inquiétant, aujourd’hui c’est drôle. Où est passé ce document ? Merde je l’ai effacé ! Deux heures de travail à la poubelle. Elle va encore être longue cette journée. Et toi tu en penses quoi de ce qui se passe ? Moi ? Je m’en fous, j’ai trop de boulot pour m’occuper de ce qui se passe là haut.

La moitié des étoiles ont disparu. Je suis en vacances, enfin. Etrange tout de même ce ciel qui semble un peu plus sombre chaque nuit. Bah, tant que notre bon vieux soleil se lève chaque matin, que m’importent les autres. Je reprends le boulot demain. Merde, pourquoi je pense à ça ? Une petite tête dans la piscine de l’hôtel me fera du bien. Puis j’irai au casino. Peut être draguer la serveuse ça peut être amusant. Et puis on sait jamais elle est peut être facile. Monsieur, un appel pour vous. Quoi ? La compagnie met la clé sous la porte ? Pourquoi ? La bourse est en chute libre ? Et alors elle a jamais été cotée cette boîte. Mais nos clients le sont et ne veulent plus faire affaire. C’est quoi ce bordel ?

Trois mois que je suis au chômage. Le chaos s’installe un peu partout. Les entreprises ferment. Certains états ont même implosé sous la pression de groupes religieux. Je sors le chien. Plus grand chose à voir dans ce ciel nocturne. Ils disent que 80% des étoiles ont disparu, certaines très proches. Les scientifiques s’arrachent les cheveux et la population panique. Mais bon sang qu’est-ce qu’on en a à faire de toutes ces étoiles ? Du moment que le Soleil reste à sa place. Plutôt que de regarder en l’air, qu’ils s’occupent de la nourriture et de l’économie. Ça commence à devenir dur par ici. J’envisage de retourner chez mes parents à la campagne. Au moins avec le potager et leur poulailler il y aura à manger.

J’ai le ventre plein. Viens par là le chien, on va digérer dehors. Le ciel est presque tout noir. Rien que la Lune et quelques rares pointes d’épingles lumineuses. Six mois que tout ce bordel a commencé. Après la télé il y a un mois, la radio vient de s’arrêter aujourd’hui. L’électricité va suivre, je suppose. Mes parents ne semblent pas s’inquiéter outre mesure. Après tout ils ont toujours préférés la vie simple. Alors une ampoule ou une bougie pour eux… C’est quoi ça ?

Formatage système en cours. Tâche actuelle : Suppression des agents intelligents … 78%

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